Les nouveaux anticoagulants vont-ils changer nos pratiques ?

Deux nouvelles classes de médicaments anticoagulants vont désormais prendre place au côté des héparines et des antivitamines K (AVK). Il s’agit des héparines de synthèse et des antithrombines directes administrables per os.

Les héparines de synthèse

L’héparine est un polysaccharide hétérogène extrait de la muqueuse intestinale de porc. La chaîne d’héparine se lie à un domaine spécifique de l’antithrombine, induit un changement conformationnel qui facilite et accélère l’inhibition des serines-protéases de la coagulation, le facteur Xa et la thrombine notamment.
La liaison de l’héparine à l’antithrombine fait intervenir une séquence de 5 sucres (pentasaccharide) dont la structure a été décrite par Jean Choay et Maurice Petitou dès 1983 [1].
Cette molécule accélère l’inactivation du facteur Xa et n’a pas d’effet sur la thrombine, contrairement à l’héparine non fractionnée (HNF) et aux héparines de bas poids moléculaire classiques (HBPM).
On a longtemps douté de l’activité antithrombotique d’une telle héparine d’ultra BPM en raison de résultats discordants observés dans les modèles expérimentaux de thrombose, aussi la décision de développer le pentasaccharide (fondaparinux ou Arixtra®) n’a été prise que dans les années 93.
Le médicament est désormais disponible. En chirurgie orthopédique et sur une base phlébographique, fondaparinux (2,5 mg) permet de réduire l’incidence des événements thromboemboliques de 55% par rapport au traitement de référence, l’enoxaparine (Lovenox®). Toutefois cette activité supérieure concerne essentiellement les thromboses veineuses distales asymptomatiques et elle s’accompagne d’une incidence supérieure d’événements hémorragiques.
A une dose supérieure (7,5 mg pour un poids compris entre 50 et 100 kg) fondaparinux permet de traiter les thromboses veineuses et les embolies pulmonaires de moyenne gravité, aussi bien et aussi sûrement que les traitements de référence (HNF et HBPM).
Le développement de la molécule se poursuit dans le domaine des syndromes coronariens aigus. Le très faible poids moléculaire du fondaparinux lui permet de ne pas interagir avec le facteur 4 plaquettaire antihéparinique et donc très probablement de ne pas exposer le patient à un risque de thrombopénie immunoallergique. Inversement, la molécule n’est pas neutralisable par la protamine et elle s’élimine presque exclusivement par le rein, exposant l’insuffisant rénal à un risque potentiel de surdosage.

Une modification minime de la structure du fondaparinux augmente considérablement l’affinité de la molécule pour l’antithrombine pour rendre le complexe quasiment irréversible.
Cette nouvelle héparine de synthèse est l’idraparinux. La demi-vie de l’effet biologique (anti-Xa) atteint une semaine après administration sous cutanée, soit presque 10 fois celle du fondaparinux et 30 fois celles des HBPM d’extraction animale. On entrevoit donc la possibilité d’utiliser une héparine pour les traitements anticoagulants au long cours (une sous cutanée par semaine) à la place des AVK.
Cette possibilité a été testée avec succès dans un essai de phase II pour le traitement de consolidation des thromboses veineuses après un traitement d’attaque par une HBPM [2]. L’activité de cette molécule est actuellement testée en phase III pour la prévention des accidents emboliques cérébraux survenant chez les patients atteints de fibrillation auriculaire.

La meilleure connaissance des interactions héparine-antithrombine a également conduit à la synthèse d’un pentasaccharide « allongé » capable d’inhiber à la fois le facteur Xa et la thrombine. Cette HBPM de synthèse (hexadecasaccharide, PM environ 5500 daltons) possède une activité antithrombotique supérieure à celle de l’HNF, de la nadroparine et du fondaparinux dans plusieurs modèles de thrombose expérimentale [3].

Les antithrombines directes

L’hirudine est un polypeptide extrait de la salive de la sangsue médicinale. L’hirudine, maintenant fabriquée par génie génétique, est un inhibiteur direct de thrombine qui revendique les mêmes indications que celle des héparines. Son développement clinique a cependant été arrêté en raison d’un risque hémorragique plus important. Restent deux indications confidentielles : la prévention des événements thromboemboliques après chirurgie orthopédique et le traitement des thromboses survenant dans un contexte de thombocytopénie induite par l’héparine.

Le concept de l’inhibition directe de la thrombine a eu un regain d’intérêt avec la mise au point de molécules de synthèse administrables par voie orale. Le ximelagatran (Exanta®) est une prodrogue qui se transforme en melagatran après prise orale. La biodisponibilité est d’environ 30%. Le principe du traitement est d’administrer une dose fixe (24 mg ou 36 mg matin et soir) sans surveillance biologique, contrairement aux AVK.
L’activité de cette molécule a été testée avec succès dans la plupart des indications des HBPM et des AVK : prévention des événements thromboemboliques après chirurgie orthopédique, traitement d’attaque et de consolidation des thromboses veineuses, prévention au long cours (18 mois) des récidives de thromboses veineuses, prévention des embolies au cours de la fibrillation auriculaire [4].
La molécule est actuellement évaluée dans les syndromes coronaires aigus. Bien qu’éliminée principalement par le rein, la tolérance hémorragique de l’exanta® est comparable à celle des AVK avec bien sûr une beaucoup plus grande facilité d’utilisation.
Malheureusement ce médicament augmente les transaminases chez 6 à 8% des patients. Ces augmentations, réversibles à l’arrêt du traitement, surviennent au cours des six premiers mois d’exposition. Le mécanisme et les conséquences de cet effet indésirable sont actuellement en cours d’évaluation. Si ce problème hépatique est résolu, ce nouveau médicament sera une alternative aux AVK très intéressante pour de nombreux patients.

Conclusion

Ainsi après plus de 50 ans de règne exclusif des héparines d’extraction animales et des AVK dans le domaine des anticoagulants, de nouvelles molécules issues de la recherche fondamentale prendront leur place et pourront conduire les médecins à changer leur pratique.

[1] Choay J, Petitou M, Lormeau JC, Sinay P, Casu B, Gatti G. Structure-activity relationship in heparin : a synthetic pentasaccharide with high affinity for antithrombin III and eliciting high anti-factor Xa activity. Biochem Biophys Res Comm 1983 ; 116 : 492-9

[2] The persist investigators. A novel long-acting synthetic factor Xa inhibitor (San Org34006) to replace warfarin for secondary prevention in deep vein thrombosis. A phase II evaluation. J. Thromb Haemost 2004 ; 2 : 47-53

[3] Herault JP, Herbert JM, Bernat A, et al. SR123781A, a synthetic heparin mimetic. Thromb Haemost 2003 ; 85 : 852-60

[4] Weitz J, Hirsh J, Samama M. New anticoagulant drugs. Chest 2004 ; 126 : 265S-286S